Alors que le monde est confronté à la pandémie du Covid-19, les rivalités se sont renforcées depuis la mi-mars entre la Chine et l’île de Taïwan.
Le 27 mars dernier, le président Trump signait le « Taipei Act » (Taiwan Allies International Protection and Enhancement Initiative Act of 2019), visant à renforcer les liens entre son pays et Taïwan. Par cette loi, le gouvernement américain s’engage sur deux points vis-à-vis de Taïwan : d’une part il plaide pour l’adhésion de l’île aux organisations internationales où le statut d’État n’est pas nécessaire, ainsi que pour l’octroi du statut d’observateur auprès d’autres organisations ; d’autre part, le gouvernement américain renforce son engagement économique, sécuritaire et diplomatique auprès des pays revalorisant leurs relations avec Taïwan et le diminue pour les pays prenant des mesures visant à affaiblir l’île.
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Un contexte de rivalité croissante
Cette loi intervient dans un contexte de fortes tensions entre l’île autonome et son allié américain, et la République populaire de Chine (RPC). En effet, depuis la réélection triomphante en janvier 2020 de la présidente Tsai Ing-wen, membre du parti pro-indépendantiste Democratic Progressive Party (DPP), Taïwan fait face à une accentuation des actions militaires de Pékin. Ainsi, le quotidien South China Morning Post relevait que des avions militaires chinois effectuaient des exercices à proximité de l’île les 9, 10 et 28 février, obligeant l’intervention d’avions de chasse taïwanais pour les disperser. Le 16 mars dernier encore, un navire-garde-côtes taïwanais était endommagé par des « pêcheurs chinois » tandis que des appareils chinois s’entrainaient à nouveau le même jour dans cette zone.
En réaction, les États-Unis envoyaient deux bombardiers B-52 au large de la côte est de l’île, tandis qu’un avion de transport survolait le détroit de Taïwan. Parallèlement, la VIIe flotte américaine effectuait le 19 mars des essais de missiles à balles réelles dans la mer des Philippines, afin de montrer qu’elle pouvait répondre aux nouveaux missiles chinois (le « tueur de porte-avions » DF-21D et l’antinavire DF-26). De son côté, Taïwan organisait le 24 mars sur toute l’île, des exercices militaires baptisés « Lien Hsiang ». Ces entrainements de grande échelle impliquant l’armée de l’air, de terre et la marine, comprenaient notamment un exercice visant à repousser une force d’invasion. Enfin, le 25 mars, le destroyer de missiles guidés américain McCampbell traversait le détroit de Taïwan, amenant le porte-parole du ministère chinois de la Défense nationale, le colonel Ren Guoqiang, à qualifier au lendemain ce transit de « dangereux » et rappelant que « Taïwan fait partie intégrante de la Chine ».
Une île ballottée par la diplomatie américaine
Ces tensions entre la Chine et Taïwan trouvent leur origine à la fin de la guerre civile chinoise (1927-1950). La victoire en Chine continentale du communiste Mao Zedong qui proclame la RPC en octobre 1949 provoque le repli des nationalistes du Kuomintang (KMT) sur l’île de Taïwan (autrefois nommée Formose). En outre, la guerre de Corée (1950-1953) et l’affrontement entre les États-Unis et la RPC durant ce conflit, conduisent au déploiement de la VIIe flotte dans le détroit de Taïwan, empêchant ainsi la reprise de l’île par les communistes.
Enfin, en 1954 les États-Unis signent un traité de défense mutuelle avec les nationalistes repliés à Taïwan qui entérine l’existence de deux gouvernements : la RPC et la République de Chine, proclamée en 1912. Chacun prétend alors représenter la Chine et être dépositaire exclusif de la souveraineté nationale. Dans le contexte de la Guerre froide, le premier est reconnu par les pays communistes, et le second par les pays occidentaux.
La situation évolue cependant dans les années 1970, avec le rapprochement sino-américain suite aux tensions entre la RPC et l’URSS et à la volonté américaine de diviser le bloc communiste. Ainsi, en 1971, Taïwan perd son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU au profit de la RPC tandis que l’année suivante, le président Nixon se rend en Chine rencontrer Mao. En 1979, c’est au tour du dirigeant chinois Deng Ziaoping de se rendre aux États-Unis, actant le rétablissement de la RPC sur la scène internationale. À la faveur de ce rapprochement, les États-Unis adoptent la même année le « Taiwan Relations Act », qui invalide les précédents accords conclus entre eux et Taïwan, qui perd sa dénomination République de Chine. De même, cette loi dispose que le statut de Taïwan sera déterminé par des « moyens pacifiques », mais précise que les États-Unis peuvent équiper l’île de moyens pour lui permettre « de maintenir des capacités suffisantes en matière de légitime défense. » De fait, ce texte est volontairement ambivalent et n’affirme pas un soutien militaire américain en cas de déclaration d’indépendance de la part de Taïwan, maintenant ainsi le statu quo.
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La « réunification », une question de prestige national pour Pékin
Aujourd’hui, Taïwan est indépendante de facto, sans pour autant l’être de jure. Une telle déclaration serait en effet un casus belli pour la RPC qui défend le principe « d’une seule Chine » et qui a adopté en 2005 une loi anti-sécession lui permettant d’user de la force armée si besoin. Elle entend ainsi réintégrer à terme ce territoire dans son giron, et en fait une cause sacrée pour terminer l’œuvre de Mao. Ainsi, la Constitution de la RPC de 1982 énonce dans son préambule que « Taïwan est un territoire sacré de la République populaire de Chine ». Il ajoute que « l’accomplissement de l’œuvre grandiose de la réunification de la patrie est le devoir sacré du peuple chinois tout entier, y compris nos compatriotes de Taïwan. » De même, Xi Jipping, déclarait en janvier 2019 dans son discours pour les 40 ans de l’ouverture des relations entre les deux côtés du détroit, que la Chine « doit être réunifiée et elle le sera », quitte à user de la force armée. Le livre blanc sur la défense chinoise de l’été 2019 réaffirme ce point et précise que le pays a la capacité de garantir l’intégrité et la souveraineté de son territoire.
Afin de pousser l’île à l’isolement sur la scène internationale et ainsi faire valoir que la « réunification » est une affaire intérieure, la Chine use de tout son poids dans l’économie mondiale pour amener l’ensemble des pays à couper leurs relations diplomatiques avec Taïwan. Ainsi depuis 2016 et l’élection de la présidente Tsai, 7 États ont mis fin à leurs relations avec Taïwan qui n’est plus reconnu dans le monde que par 15 pays de faible importance. Mais s’ils ne le reconnaissent pas comme un État, les États-Unis restent un soutien important de Taïwan et en sont le second partenaire commercial. En outre, la rivalité croissante avec Pékin pour le leadership mondial et le « Pivot vers l’Asie » lancé par Obama les a amenés à renforcer leurs liens avec l’île. Le « Taipei Act » entend ainsi permettre à Taïwan de continuer à exister sur la scène internationale sans pour autant se déclarer indépendante.
Enfin, l’indépendance de facto de Taïwan et sa démocratisation depuis 1996 rend sa population hostile à une réunification, pourtant défendue par le parti d’opposition KMT. En octobre 2018, d’importantes manifestations se sont déroulées dans la capitale pour réclamer un référendum sur l’indépendance. En 2019 les manifestations à Hong Kong ont aussi servi d’avertissement aux Taïwanais et ont favorisé la réélection de Tsai. En effet, l’ex-colonie britannique rétrocédée en 1997, connait depuis 6 ans un renforcement de l’emprise de Pékin, en rupture du principe « un pays, deux systèmes » et Taïwan craint de subir le même sort. Avec la crise du Covid19, l’île compte saisir l’opportunité de se montrer sur la scène internationale, en pratiquant une « diplomatie du masque » alors qu’elle est après la Chine, le second producteur mondial de ce précieux matériel sanitaire, et qu’elle a su maîtriser l’épidémie sur son territoire.